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21/06/2018 - Famille Chrétienne : L’insolent succès du scoutisme

Invasion des écrans, difficulté à tenir ses engagements dans un monde mouvant, défi de la transmission de la foi… le scoutisme, dans sa diversité, offre plus que jamais aux familles un soutien éducatif. Tour d’horizon avec les responsables des trois principaux mouvements français.


LES CHEFS INVITÉS

  •  Michel-Henri Faivre, 53 ans. Commissaire général scout (branche masculine) chez les Guides et Scouts d’Europe depuis 2015. Marié et père de sept enfants, il est officier dans l’armée de terre.
  •  Marie Mullet-Abrassart, 34 ans. Présidente des Scouts et Guides de France depuis juin 2017. Mariée, mère d’un enfant, elle est responsable des relations sociales chez Danone.
  •  Benoît de Vergnette, 50 ans. Président des Scouts unitaires de France depuis 2012. Marié et père de cinq enfants, il est directeur des ressources humaines dans l’industrie à Rouen.

 

Comment se porte le scoutisme en France ?

Marie Mullet­ Abrassart (SGDF) : Le scou­tisme en France, tous mouvements confondus, va très bien. Depuis quatre ou cinq ans, nous constatons un vrai regain, à tel point que nous ne pouvons pas satisfaire toutes les demandes.

Benoît de Vergnette (SUF) : Le drame de Perros-Guirec (en 1998) a rejailli sur les effectifs de l'ensemble du scoutisme. Les familles étaient inquiètes pour la sécurité de leurs enfants. Elles man­quaient de visibilité sur l'encadrement et la pédagogie scoute. Désormais, tous les mouvements grossissent.

Michel-Henri Faivre (AGSE) : Grâce au sérieux de nos mouvements et à la façon dont nous gérons nos activités, la confiance est revenue. Depuis trois ans, les Scouts d'Europe ont dépassé les effectifs antérieurs à ce drame.

Comment expliquez-vous ce succès ?

B. V. : Le scoutisme est une invitation au bonheur. Or, le bonheur se partage. Les jeunes témoignent de ce qu'ils y vivent et donnent aux autres l'envie de venir. Il propose aussi un espace de liberté, d'aventure, que l'on ne ren­contre pas ailleurs, avec la simplicité, la vérité, le retour à la nature. Et je crois que les familles cherchent à confier leurs enfants à des mouvements qui vont les aider à grandir.

M. M.-A. – Je pense en effet que le scoutisme répond à un système de valeurs dont les familles ont encore plus besoin aujourd'hui : le vivre-ensemble, avec la dimension de l'altérité, le rapport à la nature, au sens de la protection de la planète pour les générations futures... Sur ces thématiques, le scoutisme apporte les réponses appropriées. La beauté du scoutisme est qu'il est éternellement moderne !

M.-H. F. – J'ajouterais : l'attirance des jeunes pour l'apprentissage à l'autonomie dans une société où tout leur est donné « tout cuit » et où ils sont surprotégés. Le scoutisme leur propose une autonomie ciblée, avec une pédagogie adaptée à chacun. Ce qui les attire également est le principe de l’éducation des jeunes par les jeunes. Enfin, nous sommes perçus comme des mou vements d’éducation complémentaires à ce que les jeunes reçoivent à l’école et à la maison. Je rencontre beau coup de familles attachées à notre dimension spirituelle catholique. Elles constatent que leurs enfants vivent grâce au scoutisme une expérience spirituelle que ne leur apportent plus forcément les structures censées les accompagner dans leur foi. 

À quelles difficultés les chefs et cheftaines doivent-ils faire face aujourd’hui ?

M. M.-A. – Cela dépend de leur histoire à chacun. Pour certains, la transmis sion et l’éducation à la foi catholique ne sont pas une évidence, ils ne savent pas comment faire parce qu’eux-mêmes doutent ou cheminent. La question de la vie dans la nature n’est pas toujours évidente non plus. Le monde virtuel a aussi chan gé les relations entre les personnes.

M.-H. F. – Le numérique fait en effet partie des questions que nous ne nous posions pas il y a trente ans. Le scoutisme est dans l’incarnation, pas dans le virtuel. Nous faisons réfléchir nos chefs sur cette question du rapport au réel, au présent. Quand un jeune entre chez les scouts, on lui dit qu’il n’aura pas de portable pendant le camp. C’est difficile au début, mais on parvient à le sevrer peu à peu. Un exemple tout simple : les patrouilles ont pris l’habitude de faire passer la chaîne par mail. Or, ce sont souvent les parents qui y répondent, il n’y a donc plus d’apprentissage de l’autonomie. Nous leur avons demandé de revenir à la chaîne téléphonique, le fameux téléphone arabe qui se termine par la moitié de la patrouille qui n’est pas à la bonne gare ! Mais, on apprend avec ça. Le garçon de 12 ans qui reçoit le dernier message un peu incomplet doit appeler le CP [chef de patrouille, Ndlr] pour le lui transmettre. Un autre sujet sur lequel nous travaillons est la vie affective et sexuelle en raison de l’assaut pornographique auquel nos enfants, scouts ou chefs, sont confrontés. Nous expliquons aux chefs comment répondre aux questions que peuvent leur poser les plus jeunes.

B. V. – Nous devons apprendre aux chefs à savoir prendre des engagements, et à les tenir. C’est une éternelle question. Mais elle prend aujourd’hui une autre dimension, parce que les familles ne les aident pas toujours à s’engager en faisant pression sur les études, et parce que les étudiants sont plus mobiles. Il est donc difficile de s’engager dans un groupe et d’y rester. Nous cherchons des solutions pour valoriser leur expérience de chef en faisant reconnaître les camps comme des stages.


Les jeunes auraient-ils plus de mal à s’engager aujourd’hui ?

M. M.-A. – Il n’y a pas, selon moi, de crise de l’engagement, au contraire, les jeunes s’engagent plus qu’avant, mais ils sont plus mobiles.

M.-H. F. – Nous sommes obligés de dire à certains chefs de faire attention à ne pas prendre trop d’engagements ! Ils sont très généreux et nous devons leur rappe ler qu’un engagement doit se vivre dans la durée. Notre cérémonial prévoit un enga gement de trois ans, parce que c’est à vue humaine. La première année, on découvre, la deuxième on commence vraiment les choses, et la troisième cela se réalise totalement. Cela permet au chef de voir les fruits de son travail.

Comment annoncez-vous la foi ?

M.-H. F. – Nous accueillons tous les enfants, dont des non-baptisés qui vivront une évangélisation au sein de l’unité. Cette annonce s’appuie sur le troisième prin cipe des Scouts d’Europe : le scout est fier de sa foi et travaille à établir le règne du Christ dans le monde qui l’en toure. Le chef d’unité a la mission d’éduquer dans cette foi et un prêtre est toujours présent pour l’y aider, en apportant notamment les sacrements.

M. M.-A. – Chaque structure nationale et territoriale est accompagnée par un aumônier, et chaque groupe par un prêtre, généralement celui de la paroisse à laquelle le groupe est rattaché. Nous accueillons des jeunes de tous horizons qui croient plus ou moins et se trouvent face à de vrais question nements. Nous essayons d’insuffl er aux chefs et cheftaines que c’est à eux d’éduquer à la foi. L’aumônier est présent pour les aider individuellement dans leur propre cheminement spirituel et pour les épauler dans cette tâche d’évangélisation des jeunes qui leur sont confiés.

B. V. – Nous accueillons beaucoup de jeunes baptisés et de non-baptisés. Nous sommes de plus en plus confrontés aujourd’hui à la question de l’accompagnement aux sacrements, que ce soit au baptême ou à la confi rmation. Nous cherchons à mieux encadrer cette progression dans la foi. L’aumônier, un prêtre de la paroisse, présent dans chaque groupe joue un rôle dans cet accompagnement spirituel, mais également dans les relations avec les familles.

Est-il faux de penser que, chez les Scouts de France, l’annonce de la foi est un peu à la carte en fonction des chefs, des endroits ?


M. M.-A. – Je n’ai de cesse de répondre à cette question. Il n’y a pas une manière d’être catholique aujourd’hui. Les Scouts et Guides de France sont catholiques, pleinement dans l’Église et dans l’Église de 2018. On a effectivement des chefs qui ne doivent pas très bien savoir transmettre la foi. Ce qui me rassure, c’est qu’ils se posent des questions et qu’ils cheminent. Peut-être qu’ils sont maladroits, peut-être qu’ils ne la font pas très bien vivre selon des dogmes qu’on voudrait, mais ils essayent en tout cas. Ils font le choix, en étant Scouts et Guides de France, d’accepter d’avoir cette conversation et ce cheminement.
Je trouve cela essentiel dans notre société. Et je préfère que les chefs se questionnent et qu’ils soient perçus comme n’étant pas fidèles catholiques, comme on s’en ferait une image, que d’appliquer des recettes sans les comprendre. Je me sens pleinement catholique et pleinement dans la société d’aujourd’hui, et je pense que j’invite tout mon mouvement à l’être. Après, ils choisissent aussi la manière dont ils ont envie de l’être. 

Vos mouvements sont-ils présents dans les campagnes et les banlieues ?

M. M.-A. – Cela fait longtemps que les Scouts et Guides de France travaillent sur cette question qui est centrale dans notre plan d’orientation 2015-2020. Un mouvement d’Église ouvert à tous doit s’implanter là où il n’est pas présent. Et il est absent de nombreux endroits que ce soit les petites et grandes banlieues, les zones rurales, et même certains milieux citadins. Ce sont en fait des endroits où le tissu associatif est très pauvre et où il y existe peu de moyens de transport. Dans la mesure où nous portons une conviction et une méthode qui invitent à être citoyens dans le monde d’aujourd’hui, notre responsabilité est de propo ser le scoutisme dans ces endroits-là. Nous travaillons dans ce but avec les institutions publiques, et d’autres associations. Nous avons lancé il y a quelques mois le défi « Brownsea », du nom du premier camp organisé par Baden-Powell, camp qui reposait sur la mixité sociale. Ce défi consiste à demander aux Scouts et aux guides de France de faire venir à leur camp quatre jeunes qui ne connaissent pas le scoutisme.

M.-H. F. – Nous sommes présents à 25 % en milieu rural et en zone de petite densité urbaine grâce à nos patrouilles libres. Une patrouille libre est un défi. C’est un garçon qui prend cette responsabilité et qui est suivi par un chef. Nous essayons de recréer un tissu dans lequel les enfants vont se reconnaître. L’été, ils campent tous ensemble : camp de l’Araignée pour les garçons, Constellation pour les filles. Certains viennent de la Lozère, d’autres de la Bretagne ou même des Pays-Bas, d’Irlande… La ruralité est restée dans nos gènes. En revanche, nous rencontrons plus de difficultés à nous implanter dans les banlieues. Nous y développons des expériences baptisées « Missions » en nous appuyant sur les familles des paroisses. Cela consiste à inviter des jeunes à participer à des jeux scouts pendant une journée. Nous revenons quelque temps après et leur proposons de venir à nouveau avec nous.

B. V. – Nous sommes surtout présents dans les grosses métropoles urbaines. Mais nous avons aussi mis en place il y a une quinzaine d’années des journées « Brownsea » dans des villages, grâce auxquels des groupes SUF se sont créés. Nous restons toutefois moins implantés dans les zones périurbaines ou rurales. Il est vrai que l’invitation du pape François à sortir de nos salons et de notre confort est un vrai défi, car nous savons que nous ne devons pas seulement compter sur notre croissance naturelle. Nous menons donc une vraie réflexion sur un scoutisme missionnaire qui puisse se tourner vers des jeunes issus du monde musulman ou d’autres. Mais nous ne sommes pas encore prêts, car cela nécessite des moyens et un encadrement appropriés. 

Vous nous offrez une image plutôt apaisante de la fraternité scoute. Y a-t-il encore des guéguerres entre mouvements ?

B. V. – Il peut exister des histoires locales entre personnes, mais, à l’échelon national le centenaire du scoutisme [en 2007, Ndlr] nous a rapprochés. Nous avons revisité nos racines communes, il y a une volonté de créer des occasions de se rencontrer, et c’est toujours une grande joie.

M.-H. F. – Nous poursuivons tous le même but avec des approches pédagogiques différentes. Cela constitue une chance pour les familles à qui nous offrons ainsi un vrai choix.

M. M.-A. – Nous n’avons rien à gagner à nous diviser, mais tout à perdre, ne serait-ce que d’un point de vue politique. Nous faisons en sorte de promouvoir le scoutisme et non pas un scoutisme, en nous appuyant sur nos différences vues comme une source d’enrichissement. Et cela plus particulièrement au sein du scoutisme catholique. Nous devons montrer l’exemple à nos jeunes. Les générations sont passées. Nous n’avons pas vécu dans notre chair les divisions qui ont marqué l’histoire du scoutisme en France, c’est donc plus simple pour nous d’être dans l’apaisement.

Propos recueillis par
Élisabeth Caillemer et Antoine-Marie Izoard